Quel choc hier matin lorsqu’arrivé à proximité de mon domicile j’aperçus un amoncellement de troncs, de branches et de feuilles devant l’une des quatre villas situées en bas de notre immeuble : je m’étais absenté deux jours pour assister à l’enterrement d’un oncle et je ne pensais vraiment pas que durant mon absence l’on commencerait à abattre les arbres qui entouraient cette villa.
[Vite, les bourreaux sont déjà là !]
Après m’être douché et m’être connecté au serveur de mon entreprise pour commencer ma journée de travail, je jetai un coup d’oeil à travers la fenêtre de la pièce qui me sert de bureau et, horreur, j’aperçus deux gros tracteurs, une énorme benne ainsi qu’un broyeur de bois mobile. Le dernier jour des arbres qui restaient (le cerisier et le pommier ayant été abattus durant mon absence) était arrivé. C’est pourquoi je décidai de prendre une ou deux photos de la vue depuis la fenêtre de mon bureau en guise de souvenir.
[La mort d’un géant ; cliquez pour agrandir]
Bien m’en prit car les bûcherons étaient très bien équipés et ils procédaient selon le principe du travail à la chaîne : deux bûcherons abattaient les arbres tandis que leurs collègues s’affairaient à leur ramassage avant de les transformer en copeaux grâce au broyeur mobile (un Jenz HEM 581 – plus de photos sur le site de la marque). Ce qui leur permit de progresser avec célérité. D’ailleurs sur son site Internet, la compagnie se targue de pouvoir mener à bien un travail en peu de temps : « Nous avons choisi l’option [de la] mécanisation pour pouvoir intervenir très rapidement et [en] toute sécurité. La durée d’intervention dépasse rarement 2 jours. »
[Insérer photo de l’espèce de ramasseur de branches]
[Un convoi funèbre particulier]
Cela me fit vraiment mal au coeur de voir que ce gigantesque amas de copeaux dans une grosse benne était tout ce qui restait des beaux arbres qui s’étaient dressés en bas de chez nous. Evidemment, il ne s’agissait pas d’arbres remarquables (ou extraordinaires, pour reprendre l’expression de Joëlle Chautems dans son beau livre intitulé « Guide des arbres extraordinaires de Suisse romande : 40 balades d’énergie, reliance et soins par la nature ») mais leur vue m’avait souvent rempli de joie tout au long des quatre années que j’avais pu jouir de leur présence.
[Un travail mécanisé lui aussi à base de pétrole]
Une autre benne et la transformation en copeaux des arbres restés vers l’entrée de la maison pouvait reprendre. De voir ainsi ces gigantesques plantes broyées et éjectées en un jet presque continu de la machine à la benne me rappelait l’époque où jeune collégien genevois j’avais travaillé chez Wendy’s à transformer des sacs entiers de viande en produit haché pour les tranches d’hamburger. Au fait, saviez-vous que le travail à la chaîne a été développé par l’industrie de la viande (Jean-Louis Peaucelle, « Du dépeçage à l’assemblage, l’invention du travail à la chaîne à Chicago et Détroit », article disponible ici) ? Peut-être que mes pauvres arbres étaient destinés à finir comme combustible (biomasse) à l’usine de Pierre de Plan (une « usine de valorisation thermique des déchets ») car ce tracteur ne pouvait pas les transporter bien loin (on voit d’ailleurs la cheminée de cette usine sur plusieurs photos un peu plus bas – c’est celle de gauche).
[Insérer photo de l’essouchage]
[« Avant » et « après »; cliquez pour agrandir]
Dans ce cas, ce phénomène de destruction de la nature s’appelle l’étalement urbain … Pourtant le nouveau quartier qui va prendre jour ici à Lausanne-Vennes, appelé Fiches Nord, ne suffira pas à loger tous les nouveaux arrivants. En 2013, le district de Lausanne a enregistré une augmentation de sa population de 2’671 habitants mais à Fiches Nord ainsi qu’à son pendant plus en bas de la colline, à Sallaz, moins de deux mille personnes pourront y être logées. Ce qui explique pourquoi la municipalité de Lausanne semble décidée à mettre les bouchées doubles :
Avec la poursuite du programme «3’000 logements» et du projet Métamorphose, la politique du logement fait partie d’une des priorités de la Municipalité. Construire d’avantage de logements abordables, exiger des critères de durabilité ambitieux, tout en proposant une offre diversifiée et en favorisant la mixité sociale et intergénérationnelle, tels sont les défis que la Ville souhaite relever. [« Projets et constructions », Municipalité de Lausanne]
[Insérer photo des bunkers qui seront contruits ; mettre liens vers les divers lotissements]
Aux arbres disparus … (photo prise le 22 mai 2014 depuis notre balcon – les gabarits qu’on y voit servent à indiquer la hauteur des futurs immeubles – c’est une exigence vaudoise).
Alors que des êtres humains meurent tous les jours à cause de la folie guerrière ou économique humaine, il est presqu’indécent de me lamenter au sujet d’arbres éliminés ; ils vont néanmoins me manquer ; au doux chant des oiseaux (qui aimaient trouver refuge dans leurs ramures) je suppose que certains ont préféré (ou préfèrent) le bruit des voitures (déjà bien audible grâce au trafic assez dense sur l’autoroute et la route de Berne) …
[Capture d’écran de Swiss Castles, http://www.swisscastles.ch/aviation/Vaud/lausanne/vennes.html ; le rectangle rouge indique la région où les arbres ont été abattus]
Lorsqu’on regarde une carte de Lausanne, l’immense prairie se détache clairement. Une grosse tache verte située en pleine zone d’habitations, au nord de Lausanne. Cette prairie ne sera bientôt plus qu’un souvenir. Avec le temps, ces champs vierges de toute construction étaient devenus mythiques. Le quartier racontait que la partie sud, qui longe la route de la Feuillère, appartenait à une vieille dame qui ne vendrait jamais de son vivant. L’histoire était vraie. La dame est décédée et ses héritiers se sont séparés de la parcelle. Gérald Bosshard, « Près de 650 appartements sortiront de terre à Vennes », 24 Heures, 9 novembre 2010
[Photo prise le 12 juillet à 19h04 après un orage, d’où la luminosité particulière]
Il n’y a malheureusement pas un village d’irréductibles (contrairement à la fameuse bande-dessinée française) mais un propriétaire qui, je crois, a refusé de vendre sa maison et son terrain – comme quoi l’argent n’achète pas toujours tout. Gloire à lui car nous devrions ainsi continuer à pouvoir entendre le chant des merles et celui de leurs autres congénères à plumes (même si le chant des oiseaux risque d’être atténué par l’immeuble qui sera construit sur l’espace entre sa villa et notre immeuble) …
Liens :
- « Près de 650 appartements sortiront de terre à Vennes », Gérald Bosshard, 24 Heures, 9 novembre 2010
- « Logement à la Sallaz et aux Fiches Nord: des quartiers à vivre », Préavis 2013/37+38, Municipalité de Lausanne, 2 septembre 2013 [présentation générale, y compris divers plans et le dossier de présentation officiel]
- « Fiches-Nord » rapport du jury du concours, Municipalité de Lausanne, 27 juin 2008 [pdf]
- Politique du logement à Lausanne, Municipalité de Lausanne
- « Lausanne n’est pas près de sortir de sa crise du logement », Lise Bourgeois, 24 Heures, 29 juillet 2013